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Subject: Re: Une étrange matinée
Date: 2 mars 2000
Author: CivI |
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Cet après-midi, je me suis réveillé et j'étais mort.
Je ne me suis pas vraiment réveillé puisque j'étais mort mais c'est comme ça que je l'ai ressenti. J'ai regardé autour de moi et j'ai vu plein de gens que je savais morts pour la plupart. J'en ai déduit que les autres devaient l'être aussi, que je n'étais pas au courant, c'est tout. Il y avait une foultitude de gens. Des gens que j'avais connu et qui m'avaient connu, d'autres qui ne m'avaient pas connu mais qui m'avaient beaucoup soutenu par le passé et d'autres encore que je n'arrivais pas à identifier. Tous paraissaient heureux de me voir. 'Enfin, tu auras mis le temps' 'Ca devait bien t'arriver un jour ou l'autre' 'Tout vient à point qui sait attendre' 'Mais où suis-je ? dis-je bêtement' 'Où tu veux' 'Je suis vraiment mort ?' 'Si tu veux' 'Et... je fais quoi ?' 'Ce que tu veux'. Et puis, ils sont partis. Tous. Un par un. Retournant à leurs occupations ou je ne sais quoi, ils m'ont tous abandonnés.
Je suis resté là bêtement et je me lamentais sur mon sort. Tout ça pour ça ? J'aspirais au néant, au long oubli, à l'éternel hiver. Toute ma vie, j'avais fait le bien ou presque, j'avais vécu en accord avec ma conscience loin des préceptes rigoureux et stériles tant occidentaux qu'orientaux ou saturnien. J'avais aidé les gens et quand je les avais trahis, j'en avais conçu du remords. J'avais fait rire les gens et quand je leur avais arraché des larmes c'était pour leur bien ou du moins avais-je réussi à m'en convaincre. J'avais expié auprès de Paul, le mal fait à Pierre. Et je m'étais fait chier des années à me façonner un corps qui... mon corps ! Où est mon corps ?!?
Je partis, frénétiquement, à la recherche de mon corps. Je le retrouvai dans un coin sombre. Au début, je manquai ne pas le reconnaître. On passe sa vie avec le visage de l'être aimé, du voisin de bureau ou même du concierge devant les yeux mais pas le sien. On se façonne une image de soi. On extériorise sur notre physique les mensonges que l'on se sert déjà sur notre âme, notre moi, notre ego, appelez ça comme vous voulez. Ce que j'avais devant moi n'était pas reluisant. Même devant un miroir, on peut tourner la tête, chercher un meilleur éclairage, un meilleur profil. Quelle illusion. Soudain je vis mon t-shirt bouger. La panique s'empara de moi, étais-je encore vivant ? Mais si moi j'étais là, qui étais dans... moi ? En fait, il s'agissait d'un petit asticot. D'abord soulagé, puis un peu dégoûté, je me résolu à céder mon corps, ce tas de bidoche éphémère, à quelqu'un qui en avait visiblement plus besoin que moi. Bientôt, ses copains surgirent et malgré mes zen pensées, je ne pus m'empêcher de fermer les yeux sur leur sinistre besognes.
Quand je les rouvris, je n'étais plus qu'un squelette même pas blanc. Mes os, mes fameux os si lourds étaient jaunâtres. Je distinguai par ci par là les vestiges de ma vie turbulente. Une côte cassée, un nez brisé, des tibias surcalcifiés. Je me suis éloigné et je suis passé devant un miroir. Quelle ne fut pas ma surprise de ne pas être surpris. Je n'en croyais pas mes yeux. J'ai fait demi-tour et j'ai constaté que je me ressemblais. J'avais la forme que je savais avoir. Je me plaisais assez, je dois dire. C'est alors que je compris. Je fronçai les sourcils sous l'effort mais sans raison car je ressemblais déjà à cet acteur à la mode. Non, j'étais cet acteur à la mode. Tel que j'aurais pu le dessiner si je savais dessiner. Hop, un autre acteur, hop, Boris Vian, Hop, Makoto Esumi, Hop, hop hop. Au prix d'un faible effort, j'étais un géant de six mètres à peau bleue, un chat, une pieuvre à douze bras montée sur strapontin ou n'importe quoi. Je passai des heures à changer comme un cinglé. Je devins pierre et m'installai au milieu du désert de Gobi. Pendant cinq siècles, je restai là. Chauffé par les rayons du soleil, de temps à autre, j'offrais mon ombre à un fennec ou un scorpion. A l'aube, la rosée s'accumulait sur moi et les petits rongeurs venaient s'y hydrater.
Et là, il est temps que je trouve une chute car l'heure tourne et il y a quelqu'un au tableau qui commence à s'étonner que je prenne autant de notes et que je foute si peu le bordel.
Donc, un jour le désert, lieu pourtant si peu propice à ces phénomènes sonores chers à nos alpes moutonneuses. Le désert donc, se mit à résonner du bruit des tanks et des chars et des mortiers et de mineurs et des démineurs et des bottes d'une armée du coin traversant pour aller foutre sur la gueule à une autre armée du coin aussi mais de l'autre côté. Je fus shooté par un millier de pieds droits et une bonne centaine de pieds gauches. Je rebondissais sans fin, à la merci de ces aficionados de la chemises kaki et des rations de corned-beef. Outré, je décidais de m'installer dans les alpages, l'idée de l'écho m'ayant bien plu et puis, ça faisait longtemps que je n'avais pas vu le savon à hélice* Mais là encore, au bout de même pas quinze ans, je fus délogé par un alpiniste téméraire qui finit sa carrière au fond du ravin dévoré par Ciboulette et Raoulette [NDLR: voir "Le génie des alpages" de F'murr]. Moi même, je me mis à choir. C'était un brin grisant et je me pris au jeu. Je devins zoziaux. Changeant d'espèce au gré des ascendants. Je fus recueilli par un samouraï noir américain qui fit de moi un pigeon voyageur. Au cours d'un trajet pour m'acquitter avec conscience de ma tâche, je me perdu. J'allai taper à un carreau pour demander mon chemin quand j'aperçus de l'autre côté un Moutardier. Je suis donc au Vatican me dis-je. Je m'apprêtai à repartir quand je fus surpris par les ondes réflexives d'un être pensant d'une incommensurable puissance. Intrigué, je tentai de l'identifier, il s'agissait d'un percolateur électrique réduit en esclavage papal. Le bougre, tout en résolvant du coin du cerveau une équation polynomiale et différentielle de la plus grande complexité, réfléchissait sur les tenants et aboutissants de l'étrange cohabitation chat/grille-pain. Il allait parvenir à une conclusion quand une panne de courant ré-initialisa sa mémoire. Le Moutardier me lança alors des morceaux de carrelage à la tête en jurant tout ce qu'il pouvait et je repris mon chemin.
*Le savon à hélices est une propriété de F'mur. Toute utilisation sans l'accord exprès et préalable des ayants droit ne sera suivie d'aucune poursuite dans la mesure où ils ne sont pas au courant.
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