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Subject: Une soirée tranquille...
Date: 1 mars 2000
Author: Perfal |
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L'autre soir, je me suis assis devant mon ordinateur. C'était une soirée tranquille : le chat dormait paisiblement, la tête timidement glissée dans le grille-pain. Il faudra que je pense à lui faire perdre cette habitude, ça donne un drôle de goût aux tartines de shampooing.
C'était donc une soirée tranquille, voire exceptionnellement calme, puisque même les voisins avaient décidé de faire la trêve : pour une fois qu'ils arrêtaient de se roucouler des mots d'amour pour enfin se mettre une bonne peignée, j'étais bien content. J'ai horreur des gens qui sont heureux près de moi, surtout en essayant d'être discrets. Je trouve ça d'une indécence et d'une vulgarité criantes. Là enfin je savourais chaque éclat d'assiette sur le carrelage de leur cuisine, imaginant, un sourire ravi répandu sur le visage, les veines gonflées de leur cou tendu dans la haine de l'autre...
J'en étais donc à faire une vingt-cinquième entaille sur le mur de mon salon pour marquer le nombre d'assiettes brisées lorsqu'enfin mon ordinateur me fit la grâce de me signaler qu'il était à mes ordres. Rien que pour ça, je l'adore. Car même s'il simule des soubresauts de résistance vacillante à faibles coups de "Fatal Error" et autres messages bleutés, je sais qu'au bout du compte et au prix de quelques redémarrages, je reste le plus fort.
Cela a toutefois pris du temps, avant que l'un comme l'autre nous sachions clairement qui allait l'emporter, entre la bête obstination bornée dépourvue de raison et l'ordinateur. Finalement ce fut moi. Je me rappelle encore avec une émotion humide cette lutte âpre que nous nous livrâmes un soir, qui me vit au bord de la défaite, presque terrassé, livré sans défense au pied de mon UC ; l'œil terrible et impitoyable du vide de mon écran me dominait, inexorable et froid, jubilant intérieurement de la joie sadique de me voir ainsi détruit. J'allais m'abandonner enfin, le laissant pour lors seul maître du champ de bataille, lorsque me tirèrent brusquement de mon apathie défaitiste la pensée qu'il était impossible à l'homme de se laisser ainsi malmener, et surtout la sonnerie de la porte d'entrée.
J'allai donc ouvrir. Au passage, je m'emmêlai les pieds dans le cordon d'alimentation de mon ordinateur. Le monstre, totalement pris par surprise, ne put que s'éteindre dans un hurlement de rage impuissante, emportant dans un tourbillon noir ses rêves insensés de domination domestique. Lorsqu'il revint à la vie, je pus constater que cette victoire si finement arrachée avait totalement brisé ses velléités de rébellion, et qu'aucune contestation sérieuse ne serait dorénavant à redouter : il avait trouvé son maître.
C'était la voisine qui sonnait, pour me rappeler que c'était l'heure d'arroser mon ficus. Je la remerciai comme d'habitude avec une assiette en fausse porcelaine de Trouville, afin d'avoir de quoi finir les entailles sur le troisième mur de mon salon. Une fois ces civilités achevées, j'allai chercher le flacon d'Harpic qui me restait de ma dernière cocktail-party, et en arrosait généreusement mon ficus. Ses feuilles prirent immédiatement cet éclat vert-vif que j'apprécie tant, particulièrement sur les plumes de corbeau. Mais le dernier corbeau que j'ai eu n'aimait pas ça, il a soudoyé grassement mon chat pour qu'il lui file les clés de l'appart, un soir où j'étais parti pêcher le hamster, et il s'est fait la malle avec toute ma collection d'images de football, vous savez, les Panini. J'étais fou de rage et de douleur, pas que j'aime le foot, ça non, au contraire, mais j'adorais le petit chevalier Panini qu'il y avait au dos des vignettes. Sale corbeau. Dire qu'il ne m'écrit même plus.
Je fus brusquement ramené à mon écran par le calme insupportable qui régnait chez mes voisins. Pas de doute, ils avaient fini de se sabouler, et étaient retombés dans leurs répugnantes embrassades. De rage, je lançai une multitude d'applications sur mon ordinateur, mon écran se couvrit de fenêtres toutes plus ouvertes les unes que les autres, provoquant un énorme courant d'air qui renversa mon ficus, vida les cendriers, et figea définitivement mon ordinateur, désormais sourd à toutes manœuvres pour le ramener à la raison. Le chat, effrayé par le ficus en mouvement, démarra le grille-pain, sauta en selle et partit en trombe, ne laissant derrière lui qu'un nuage bleuté et une odeur passée de shampooing aux herbes de Provence.
Devant tout ce carnage, je jetai une serviette sur l'ordinateur, écrasai l'ampoule du planchonnier sous mon talon, vidai une bouteille de Martini blanc, avant de me coucher sous l'évier.
/PA.
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