LE CHAT ET LE GRILLE-PAIN


retour au sommaire général Le grille-pain vous salue bien Une étrange matinée d'Alain Chatartine Chat butterfly
Une soirée tranquille d'Alain Une étrange matinée de Sylvain Chat sans tartine
Une soirée tranquille de Sylvain E-grille-pain Chat minée


******

Forum: fr.rec.sport.roller
Subject: Une étrange matinée
Date: 2 mars 2000
Author: Perfal

Il m'est arrivé un truc extraordinaire. Je sais, ça a l'air un peu plat et conventionnel comme introduction, n'empêche, c'est vrai : il m'est arrivé quelque chose d'extraordinaire. A la minute où je vous le raconte, j'en ai encore les cheveux flageolants et des gouttes de sueurs froides sur les dents. Surtout celles du fond d'ailleurs, ça doit être une particularité physiologique chez moi, je n'ai encore jamais rencontré personne qui transpirât autant des molaires. Mais je m'égare, là n'est pas le sujet, même si celui-ci mériterait d'être creusé, comme aime à le dire une carie de mes amies, qui ne manque pas d'humour, même s'il est parfois un peu acide à mon goût.

J'étais donc dans ma salle de bains, face à mon miroir. Ce dernier, perdu dans je ne sais quelles pensées, réfléchissait comme à son accoutumée. Le résultat en était un spectacle éveillant des sentiments mitigés chez moi : j'étais d'un côté réconforté par la vision rassurante et quotidienne de mon chat se lavant les dents avec son poireau favori - et Dieu sait que je lui ai pourtant répété maintes et maintes fois que ce n'était pas l'idéal ; rien à faire, il ne veut pas entendre parler de système plus approprié, alors que le corbeau qui partageait ma vie il y a encore quelques temps ne jurait que par le chausse-pieds que je lui avait offert pour son permis de conduire. De temps en temps, nous échangions avec mon chat de ces regards complices que seuls peuvent engendrer une longue cohabitation et une fringale monumentale : on se demandait tous les deux lequel se collerait ce matin à la préparation du café matinal. Généralement je le laisse faire, mais c'est plus pour lui faire plaisir, parce qu'il le fait un peu trop fort à mon goût : ce n'est pas tant le fait qu'il mette le paquet entier qui me gêne, mais j'ai été plutôt habitué dans ma jeunesse à boire le café qu'à le mâcher. Par contre, je lui fais pleinement confiance pour la cuisson des tartines : il n'a pas son pareil pour piloter notre grille-pain.

La cause de mon malaise était la vue du perchoir désormais esseulé où John avait ses habitudes. Je laissais mon regard courir tendrement sur cette petite barre de bois tachetée de vert par endroits, marquée de l'empreinte des santiags qu'on lui avait offertes à Noël dernier. Qu'est-ce qu'on avait ri ce soir-là ! John, bourré comme un coing - il avait picolé tout l'ouzo que nous avait fait parvenir un de ses cousins grecs - essayant maladroitement de glisser ses pattes dans les superbes santiags en cuir marron avec des arabesques et des chevaux en blancs, les pointes ferrées et les molettes des éperons à l'arrière. Quand il y est finalement parvenu, le chat et moi pleurions de rire dans les bras l'un de l'autre, en équilibre précaire sur une branche du ficus, avec chacun une bouteille de 4Roses à la main comme tout bon aspirant-déchet qui se respecte.

Désormais ce perchoir était vide, nu, sans âme, les menottes avec lesquelles j'aimais à enchaîner tendrement John pour lui mordorer les ailes pendaient tristement, privées de leur raison d'être. Une larme se mit à couler, traçant un sillon fragile dans la mousse à raser, telle une official skieuse sur la couche neigeuse instable d'un couloir propice aux avalanches. J'essuyai délicatement la joue de mon chat, j'ai horreur de le voir chialer, ça me fout en l'air. Mais c'est quand même dingue la communion de pensées qu'il peut y avoir avec cet animal.

A cet instant précis, tout à coup, alors que je m'y attendais le moins, rien ne se passa. J'entamai tranquillement ma deuxième demi-heure d'ablutions matinales, le chat fredonnait une vieille comptine, la radio miaulait doucement un air ringard, le grille-pain flirchanait tranquillement, la bouilloire ne faisait rien parce que je n'ai pas de bouilloire mais sinon elle aurait sûrement sifflé cette andouille, et la cafetière attendait sagement en lisant le journal que l'on daigne s'occuper de son cas. C'est ma faute, je ne pense jamais à lui montrer où sont les filtres, on gagnerait du temps si elle commençait à s'habiller toute seule. A son âge, il serait temps.

La matinée prenait doucement son envol lorsqu'un bruit inhabituel vint secouer cette torpeur bien huilée. Pleuvait-il? Grêlait-il ? Pluiedesablait-il ? En tout cas, ça faisait plein de tic-tic-tics sur les vitres. Intrigué, et sur le qui-vive car Dieu (encore lui) sait dans quel monde étrange nous vivons, je m'approchai prudemment d'une aperture pratiquée dans un mur et comblée avec une vitre, le tout s'efforçant de ressembler à la fenêtre de la cuisine, non sans m'être au passage et à toutes fins utiles saisi d'une hallebarde qui traînait sur le canapé, vestige d'une soirée particulièrement mouvementée avec un mien cousin Garde Suisse de son état. Sacré Giacomo, il en tenait encore une sévère ce soir-là. Heureusement que j'avais une vieille cocotte en fonte pour remplacer son morion disparu dans les toilettes de Saint-Lazare, sinon il n'aurait pas pu se présenter décemment à l'appel le lundi matin.

Je m'approchai donc à pas feutrés, voire de loup, de ladite fenêtre, et me sentis submergé par une émotion sans mesure ; un sentiment d'incrédulité horrifiée me glaça instantanément le corps, et un abruti coupa brusquement le courant.

Quand je me réveillai, la cause de mon émoi était toujours présente et tic-tic-ticait inlassablement sur le carreau. Non, chers petits amis, non, ce n'était pas John.

C'était une mésange avec une casquette de facteur de couleur sombre et avec une visière aux reflets mordorés, et de loin, moi aussi j'y avais cru.

/PA.

******

haut de la page
retour au sommaire général