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LES DITS DE BRIA



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> Faut pas partir le ventre vide
> Sale temps pour les mouflons
> Matin
> Saphique invitation
> Fragments
> Cour à la Boris... Vian
> Le jour où le diapason a mordu la lune
> Interior Hollandès I, 1928


MATIN

De : Bria
Date : Mars 2000

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J’émerge.

Eclair de panique.

Où suis-je ?

Pas dans mon lit, je reconnaîtrais ses circonvolutions matelassées entre mille. Toutes les parties de mon cerveau liées à la motricité et à la perception sont déconnectées mais le cortex est on ne peut plus actif. J’essaye de me souvenir de tout ce qui a précédé le sommeil mais tant que je n’en saurais pas plus sur le présent, je n’en saurais pas plus sur le passé. C’est râpé. Il va me falloir trouver des informations à l’extérieur.

Mes paupières laissent filtrer de la lumière. Il doit donc au moins être six heures. Je n’ose pas ouvrir les yeux. Je cherche un son significatif dans la cacophonie assourdie que je perçois. De l’eau perlant d’une gouttière, il a donc plu. La circulation naissante dans la rue. Un oiseau qui s’est réveillé trop tard. Rien de probant, aucune information à tirer de ça. Une respiration. Je ne suis donc pas seul. J’aurais du m’en douter. La panique cède le pas à une légère inquiétude. Je me concentre sur le souffle. Calme et régulier, impossible de dire si la personne est réveillée. Il s’est bien passé au moins cinq secondes depuis mon réveil. Je sais pertinemment qu’il ne peut pas s’être écoulé un siècle. Ce n’est pas possible. Je doute un peu mais je n’ai pas le temps de m’attarder sur toutes les pensées qui me traversent. Je réalise que j’ai mal. Partout. Mon corps vient de se mettre en stand-by après un court check-up et le résultat est navrant. J’ai la gorge sèche, le cou ankylosé, l’épaule gauche coincée. Mes deux poignets me font souffrir et je ne sens plus rien en dessous de la ceinture ce qui n’est probablement pas un mal. Je voudrais me masser mais je sens que je ne peux pas bouger. Un peu comme quand on a les lèvres collées par la sécheresse et que l’on n'ose pas ouvrir la bouche de peur de rompre ce sceau. Je comprends que j’ai un bras passé sous une nuque et l’autre main posée sur une hanche. Je m’éternise trois secondes à me demander si je peux me dégager délicatement sans détruire cette sculpture de chair. Un bruit de tôle froissée, déchirée, pliée en tout sens venant de la rue me surprend au milieu de cette rêverie. J’ai bloqué ma respiration. Le temps de me réprimander pour avoir laissé mon esprit vagabonder, il est déjà temps d’inspirer. Mais je vais faire du bruit, je n’ose pas. Il le faut pourtant, je ne vais pas mourir comme ça, dans une apnée de dix secondes dans des draps inconnus. Je me décide enfin et respire au moins deux litres par le nez. L’odeur m’agresse comme si son absence de mes narines pendant un si long temps était un sacrilège. Ca sent le sexe et la femme. La pièce est remplie de cette fragrance. En parallèle, je pense que pour moi l’odeur du sexe et de la femme doivent se mêler et que derrière cette odeur il y en a une plus discrète, presque timide. Je me dis que c’est peut-être vrai mais que ce n’est pas le moment de réfléchir à ce genre de chose et qu’il faut que j’isole cette odeur. Puis, je me dis qu’il faut arrêter de penser à plusieurs choses à la fois. Le temps s’est accéléré. Je suis de l’ordre du dixième de seconde. A la troisième respiration, je me débarrasse enfin de l’odeur principale pour ne plus m’occuper de la deuxième. Je sais que ça c’est vraiment l’odeur d’une femme. Trop tard, je ne peux pas m’empêcher de faire la comparaison entre les deux. Je perds encore un précieux temps à chercher l’odeur de ma compagne. Car c’en est une maintenant j’en suis sûr. Reste à l’identifier. Alors que l’empreinte olfactive s’estompe dans me narines, j’arrive à la conclusion que je l’ai déjà sentie. La bonne affaire. Il y a cinq ans ou la veille, on n’oublie pas une odeur. Les visages ou le son de la voix, oui. La silhouette ou le velouté de la peau, certainement. Mais le goût et l’odeur, jamais. Retour à la case départ.

Est-ce que je devrais être là ? Aucune idée. J’essaye de coller un visage à l’odeur. En cherchant, d’abord un visage et en essayant d’y superposer l’odeur, je m’y prends mal. Foutue méthodologie d’informaticien. Les visages se brouillent et se dissipent pour n’en laisser qu’un. Pas le bon de toute évidence. Enfin, je veux dire pas celui que je cherche. Enfin, je veux dire pas celui que je cherche maintenant. Je sens avec un brin de culpabilité que je vais repartir à la dérive. Comme pour couper court à cet adultère, une douce main ce saisit de la mienne posée sur une douce cuisse pour la ramener autour d’un non moins doux sein. J’envie son état comateux de demi-lucidité. Je me demande si elle a la moindre idée de qui se presse contre elle ou si elle s’en pose même la question. Il est rare de se sentir aussi seul alors que l’on est aussi serré. Je sens que je vais m’apitoyer sur moi même. Ca me fait déjà chier. Alors je pense à mon bras gauche dont la circulation est coupée depuis des heures plus certainement qu’avec un garrot. J’en profite pour faire craquer les articulations de ma nuque et de mes doigts de pieds. Grave erreur. Deux plantes de pieds viennent se coller à moi. Toutes froides. Sur mes mollets. Ce n’est peut être pas le drame de ma vie mais ca me persuade réellement que j’ai du avoir un très très mauvais karma dans une existence antérieure pour mériter ça. Je grogne et comprime le sein. L’être soyeux se contorsionne comme un chat, s’étire, minaude, libère mon bras, me sourit, me couvre de baiser, étend ses membres autour de moi comme pour prendre possession.

Je sais qui c’est, comment nous nous sommes endormis, ce que nous avons fait la veille et la veille et la veille. Je l’ai toujours su. No more mister bad guy. Je sens le gentil garçon reprendre le contrôle. Il faut que j'arrête de m’exprimer par grognement, que j’ouvre la bouche pour accueillir la sienne. A tous les coups on va encore se fondre l’un dans l’autre une ou deux fois, sans compter le cirque sous la douche. Pas que ça me déplaise mais je me demanderai toujours où les femmes trouvent toute cette énergie le matin.


J’ai ouvert les yeux je ne sais plus quand.

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